Il était une fois la Cour des comptes…

Il était une fois la Cour des comptes…

Par : Djilali HADJADJ
MILITANT DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

Il ne suffit pas d’inscrire la Cour des comptes dans la Constitution. Sa mission et ses objectifs devront être définis par une loi votée par le Parlement. La création d’un Conseil supérieur de la Cour des comptes, distinct du Conseil supérieur de la magistrature, pourrait favoriser l’indépendance de l’institution.

“Quis  custodiet   ipsos   custodes ?”  (“Qui  gardera  les  gardiens ?”).  Juvenal, poète satirique romain

La prévention doit occuper une place essentielle dans la lutte contre la corruption. Parmi les instruments dont doit se doter un État pour prévenir et punir la corruption, figurent les institutions de contrôle. Ces institutions sont multiples et différentes quant à leur mission et à leurs moyens d’action, mais complémentaires dans leurs objectifs. Très souvent, elles sont prévues par la Constitution et sont liées aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Leur existence ne signifie pas pour autant qu’elles sont indépendantes, même quand la loi consacre cette indépendance. En vertu de la disposition constitutionnelle de séparation des pouvoirs adoptée par l’Algérie, l’efficacité du contrôle des finances et des dépenses de l’État repose essentiellement sur l’indépendance des institutions qui en ont la charge et sur leur diversité. Cette indépendance est aussi tributaire de la publicité donnée aux résultats de ces contrôles, de la large information du public et des mesures prises par les juridictions concernées pour punir les auteurs d’infractions, de détournements et de corruption.
Il y a une diversité des institutions de contrôle et différents niveaux d’exercice : le contrôle législatif, le contrôle juridictionnel et le contrôle lié à l’Exécutif. Ces différentes institutions disposent-elles d’autonomie, d’indépendance et des moyens d’action nécessaires à la réalisation de leurs objectifs ? Si la séparation des pouvoirs est inscrite dans la Constitution algérienne, elle n’est pas effective dans la réalité et a été trop souvent violée par l’Exécutif. Cela rend aléatoire le bon fonctionnement des institutions de contrôle. Quelles sont les conditions à réunir pour que ces institutions soient plus efficaces ? Elles doivent être définies par une réglementation claire qui garantisse leur indépendance et qui leur assure les moyens de leur mission. Par ailleurs, ces institutions doivent fonctionner de manière transparente et rendre publics les résultats et les rapports des contrôles effectués.
La situation du contrôle administratif en Algérie  est peu reluisante et fait apparaître de graves faiblesses. L’absence d’indépendance des structures de contrôle du fait de leur incapacité à s’autosaisir et le fait qu’elles soient juges et parties rendent caduque leur efficacité. La non-application des directives contenues dans les rapports conforte l’impunité des personnes mises en cause, qui continueront d’agir sans pouvoir être inquiétées. Le manque de diffusion des rapports destinés aux seules autorités administratives de tutelle favorise l’opacité des travaux et le non-accès du public à l’information. 
De plus, la grande atomisation des structures de contrôle aggrave la confusion et les dédoublements d’intervention, compromettant leur efficacité.

Créée pour régler des… comptes !
Dans nombre de pays ayant mis en place une Cour des comptes, cette dernière a pour mission principale de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens. Cette mission se déroule en principe en quatre actes : juger, contrôler, certifier et évaluer. Juridiction indépendante, elle se situe à équidistance du Parlement et du Gouvernement, qu’elle assiste l’un et l’autre. En Algérie, dans l’ordonnance de 2010 qui régit la Cour des comptes, ces deux notions ne sont pas du tout évoquées : le bon emploi de l’argent public et l’information des citoyens….

Retour en arrière
La Constitution algérienne de 1976, révisée en 1989, en 1996 et en 2016, érige la Cour des comptes en institution supérieure chargée du contrôle a posteriori des finances de l’État, des collectivités territoriales et des services publics. Mise en place en 1980, la Cour des comptes est actuellement régie par l’ordonnance n°95-20 du 17 juillet 1995, complétée et amendée par celle du 26 août 2010, qui détermine ses attributions, son organisation et son fonctionnement, ainsi que la sanction de ses investigations. À son arrivée au pouvoir en 1979, Chadli ne recula devant rien afin d’écarter ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre. À commencer par ses pairs du Conseil de la révolution, qui l’avaient désigné candidat unique à la magistrature suprême. Pour cela, rien de mieux que de faire remonter en surface les dossiers constitués sur les adversaires du Président par la Sécurité militaire, dossiers qu’il suffisait de charger davantage. Pour instruire ces affaires, Chadli, en mars 1980, accéléra la mise en place de la Cour des comptes (CDC), placée sous son autorité et définie comme son conseil financier. La plus connue de ses “victimes” accéda au pouvoir de 1999 à 2019 ! Le prétexte qu’il avança était… la nécessité de moraliser la vie publique ! Afin de donner consistance à ce prétexte, une centaine de magistrats du secteur de la justice furent révoqués sous l’accusation de corruption ou d’abus de pouvoir. Au passage, d’autres furent mis à la retraite ou écartés de postes sensibles, alors qu’ils n’avaient pas démérité dans l’exercice de leur fonction. L’opération “CDC” avait donc à la fois un caractère démagogique, faire croire que Chadli s’attaquait à la corruption, et une fonction de reprise en main. Ayant fait l’objet d’une loi adoptée par une Assemblée nationale entièrement acquise à Chadli, la CDC était évidemment taillée sur mesure pour les besoins présidentiels. Elle fut comme une épée de Damoclès pour ceux, anciens du régime Boumediène, qu’il fallait réduire au silence et écarter du pouvoir. 
Elle devait éplucher la situation financière des administrations, surtout ministérielles, des entreprises dites socialistes (appartenant à l’État) et du parti unique, et fournir annuellement au président de la République un rapport général. L’histoire de la Cour des comptes algérienne ne fait pas honneur à la République. Et pour cause, elle fut créée dans un contexte bien particulier, qui ne pouvait qu’aboutir à la situation actuelle : une institution sclérosée et empoussiérée, dans l’impasse, vieille dame indigne aux ordres de ceux qui voulaient régler des…comptes. 
Et dire que nombre de magistrats, qui décidèrent d’y faire carrière, crurent en la mise en place d’une institution qui jouisse réellement de ses prérogatives, aussi limitées soient-elles. La gestion autocratique de la Cour des comptes fit le reste : une présidence ou une fonction à vie. Figure symbolique de la gérontocratie : l’actuel président est en poste depuis… 27 ans (nommé en mars 1995) ! Il est âgé de… 83 ans ! Durant son trop long règne, le président de la Cour des comptes a très souvent multiplié toutes sortes d’interdits vis-à-vis des magistrats et des autres personnels de l’institution : cela explique en grande partie que cette “Cour” soit à la dérive aujourd’hui.

Les temps de l’ordonnance de 2010 sont…comptés !
Par ces temps de libéralisme sauvage et d’exclusion sociale de masse, la promiscuité entre corrupteurs et corrompus est telle que l’immixtion de la corruption dans la vie publique semble s’être généralisée et s’est même banalisée. “Se faire de l’argent” à n’importe quel prix devient une gageure et un signe de réussite. Les grands scandales de corruption qui ont dramatiquement marqué l’actualité nationale ces dernières années se sont multipliés sur le “cadavre fossilisé” de la Cour des comptes. C’est dire si ces grosses affaires ont été “autorisées”, alimentées par l’inertie et le gel “organisés” de multiples institutions ayant la charge de la prévention et de la lutte contre la corruption : qu’elles s’appellent Cour des comptes, Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, Inspection générale des finances, Office central de répression de la corruption, Cellule de traitement du renseignement financier, Pôles judiciaires spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière, etc. Dans la Constitution de mars  2016, l’article 192 consacre l’indépendance de l’institution, renforce son rôle en matière de contrôle des finances publiques et lui confère la mission de contribuer au développement de la bonne gouvernance des finances publiques et à la promotion de la transparence dans la gestion publique ; indépendance qui n’a jamais mis le nez dehors !

La nouvelle Cour des comptes version Constitution de 2020 se fait attendre
Sur le site Internet de la CDC actuelle, la Constitution de 2020 n’y a pas encore fait son apparition : on n’y évoque que celle de 2016, omission symptomatique d’un laisser-aller qui en dit long sur l’hibernation de cette institution en souffrance, notamment d’une loi inscrite dans l’article 192 de la précédente Constitution, loi qui n’a jamais vu le jour ! Ce qui pourrait changer avec l’article 199 de la Constitution de décembre 2020 : la Cour des comptes est érigée en une “institution supérieure de contrôle du patrimoine et des fonds publics” et doit faire l’objet d’une loi organique qui déterminera son organisation, son fonctionnement, ses attributions, la sanction de ses investigations, le statut de ses membres, ainsi que ses relations avec les autres structures de l’État chargées du contrôle, de l’inspection et de la lutte contre la corruption. Exit les “ordonnances” qui privaient le Parlement de débats et d’éventuels amendements ! Mieux encore, tirant les leçons d’un triste contentieux, il est précisé que son rapport annuel sera rendu public et la responsabilité en incombera à son président et, nouveauté de taille, ce dernier ne pourra exercer plus de deux mandats de cinq ans, ce qui est quand même un sacré progrès comparé au mandat à vie et sans partage de son président actuel. 
Mais le moteur législatif a pris du retard à l’allumage, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la  mise en place d’une nouvelle Cour des comptes, et pour cause l’article 224 de la nouvelle Constitution – publiée dans le Journal officiel daté du 30 décembre 2020 – est sans appel : “Les institutions et organes dont le statut a été abrogé ou modifié dans la présente Constitution (Note de l’auteur : ce qui est le cas de la Cour des comptes) poursuivent l’exercice de leurs missions jusqu’à leur remplacement par de nouvelles institutions et organes dans un délai n’excédant pas une (1) année, à compter de la date de publication dans le Journal officiel de la présente Constitution.” Donc, depuis maintenant près de deux semaines, l’actuelle Cour des comptes peut être considérée comme étant suspendue faute de loi organique promulguée dans les délais fixés par la Constitution, alors que l’article 225 de cette dernière prolonge la vie de l’ordonnance du 26 août 2010 régissant la Cour des comptes, en attendant un nouveau dispositif législatif… À propos de loi organique, nous nous interrogeons sur l’absence de notion d’indépendance de la Cour des comptes dans l’article 199 cité plus haut, alors que cette notion était expressément soulignée dans l’article 192 de la précédente Constitution : simple omission ? Si c’est le cas, il est indispensable que le tir soit rectifié dans la loi organique qui régira la nouvelle Cour des comptes !
Une série de mesures peuvent renforcer l’indépendance des structures de contrôle et optimiser leur efficacité. Il ne suffit pas d’inscrire la Cour des comptes dans la Constitution. Sa mission et ses objectifs devront être définis par une loi votée par le Parlement. La création d’un Conseil supérieur de la Cour des comptes, distinct du Conseil supérieur de la magistrature, pourrait favoriser l’indépendance de l’institution. Cette indépendance serait renforcée par la mise en place d’un système autonome de nomination et de gestion de la carrière des magistrats de la Cour des comptes. 
L’adoption par le Parlement du règlement intérieur et d’un statut particulier aux magistrats de la Cour des comptes pourrait permettre de contenir les pressions de l’Exécutif. Les décisions de la Cour des comptes dans l’évaluation des comptes publics doivent être irréversibles. Les jugements doivent être rendus en premier et dernier ressort. Les rapports, annuels et par secteur, de la Cour des comptes doivent être rendus publics et connaître une large publicité. Cette obligation de transparence sera inscrite dans la loi et ne sera pas laissée à l’appréciation du pouvoir exécutif. Enfin, la Cour des comptes ne peut mener à bien ses missions que si elle est dotée de moyens d’action conséquents, humains, financiers et matériels.

Source

Une nouvelle gouvernance par la lutte contre la bureaucratie

Une nouvelle gouvernance par la lutte contre la bureaucratie

CONDITIONS DE LA RELANCE ÉCONOMIQUE POUR 2022

Liberté le 24-01-2022 12:00

Par : Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international

Pour relancer l’économie nationale en 2022 et réaliser la transition énergétique et numérique, il faut une stratégie articulée autour d’une autre organisation institutionnelle, loin de l’esprit rentier de distribution de portefeuilles ministériels qui, souvent, se télescopent, rendant incohérentes les actions alors que les objectifs sont complémentaires.

Le développement devra résulter d’une réelle volonté politique allant vers de profondes réformes, une libéralisation maîtrisée, un rôle stratégique de l’État régulateur conciliant efficacité économique et justice sociale, évitant l’idéologie dévastatrice. 
Je rappelle que l’économie algérienne a connu différentes formes d’organisation des entreprises publiques. Avant 1965, la forme d’autogestion était privilégiée ; de 1965 à 1980, nous avons eu de grandes sociétés nationales et, de 1980 à 1988, il y a eu la restructuration des grandes sociétés nationales. Comme conséquence de la crise de 1986 qui a vu le cours du pétrole s’effondrer, des réformes timides sont entamées en 1988 : l’État crée alos 8 fonds de participation chargés de gérer les portefeuilles de l’État. En 1996, l’État crée 11 holdings en plus des 5 régionaux avec un Conseil national des privatisations ; en 2000, nous assistons à leur fusion en 5 méga-holdings et la suppression du Conseil national des privatisations ; en 2001, nouvelle organisation et l’on crée 28 Sociétés de gestion des participations de l’Etat (SGP) en plus des grandes entreprises considérées comme stratégiques ; en 2004, ces SGP sont regroupées en 11 et 4 
régionales. 
En 2007, une nouvelle organisation est proposée par le ministère de l’Industrie et de la Promotion des investissements, articulée autour de quatre grands segments : de sociétés de développement économique qui relèvent de la gestion exclusive de l’État gestionnaire ; des sociétés de promotion et de développement en favorisant le partenariat avec le secteur privé international et national ; des sociétés de participation de l’État appelées à être privatisées à terme et, enfin, une société chargée de la liquidation des entreprises structurellement déficitaires. Cependant, en 2008, cette proposition d’organisation est abandonnée et a alors été émise l’idée de groupes industriels en 2009. Depuis 2018/2021, on semble revenir aux tutelles ministérielles, laissant peu d’autonomie aux entreprises. 
Ces changements d’organisation périodiques démobilisent les cadres du secteur économique public et même les investisseurs locaux et étrangers, montrant clairement la dominance de la démarche administrative et bureaucratique au détriment de la démarche opérationnelle économique. 
La règle des 49/51% instaurée depuis 2009, dont j’avais demandé l’abrogation (www.goolgle-mebtoul 2010) que le gouvernement actuel a décidé d’assouplir, n’a pas permis de freiner les importations ni de réaliser le transfert technologique managérial ; au contraire, elle a favorisé des délits d’initiés de certains oligarques. Un bilan serein s’impose avec une réponse précise : dans quels secteurs les quelques participations ont-elles eu lieu et ont-elles permis l’accroissement de la valeur ajoutée ? Sachant que la croissance de par le monde repose sur l’entreprisse initiée aux nouvelles technologies, se fondant sur l’économie de la connaissance à travers des réseaux décentralisés. Quel gain en devises ? Ou alors quel est le montant des surcoûts supportés par l’Algérie ? Car l’expérience de l’évolution des relations économiques internationales montre que ce qui était stratégique hier peut ne pas l’être aujourd’hui et demain (exemple les télécommunications). Pour les segments non stratégiques mais à valeur ajoutée importante, il serait souhaitable d’appliquer la minorité de blocage de 30% afin d’éviter les délocalisations sauvages. L’observation des grands espaces mondiaux montre clairement que seules quelques grandes firmes contrôlent les circuits du commerce mondial, dont il est impossible aux opérateurs algériens de pénétrer le marché sans un partenariat gagnant/gagnant. 
Le frein à la mise en œuvre d’affaires saines est le terrorisme bureaucratique qui enfante la sphère informelle et la corruption, représentant à lui seul plus de 50% des freins à l’investissement. La réforme du système financier, cœur des réformes, est essentiel pour attirer l’investisseur léthargique avec la marginalisation du secteur privé, puisque les banques publiques continuent à accaparer 90% des crédits octroyés ; elles ont carrément été saignées par les entreprises publiques avec un assainissement qui a coûté au Trésor public, selon des données récentes (2021) du Premier ministère, ces trente dernières années environ 250 milliards de dollars, sans compter les réévaluations répétées ces dix dernières années de plus de 65 milliards de dollars, entraînant des recapitalisations répétées des banques, malades de leurs clients. 
Enfin comme frein à l’investissement hors hydrocarbures, l’absence d’un marché foncier où la majorité des wilayas livrent des terrains à des prix exorbitants, souvent sans commodités (routes, téléphone, électricité/gaz, assainissement) et l’inadaptation du marché du travail à la demande, renvoyant à la réforme du système éducatif et de la formation professionnelle, des usines fabricant de futurs chômeurs.
Les principales dispositions de la loi de finances 2022 se basent sur un cours du pétrole de 45 dollars le baril et un prix du marché de 50 dollars et prévoient une croissance de 3,3% contre 3,4% en 2021 et moins 6% en 2020. Un taux de croissance faible donne une croissance faible. Il faut être réaliste.
Si les projets du fer de Gara Djebilet et du phosphate de Tébessa commencent leur production en 2022, l’investissement de ces deux projets étant estimées à environ 15 milliards de dollars ainsi que le projet du gazoduc Nigeria/Algérie dont le coût est estimé par l’Europe à 20 milliards de dollars, le seuil de rentabilité ne sera atteint que dans 6/7 ans et, pour les PMI/PME, dans deux à trois ans. Selon le FMI dans son rapport de décembre 2021, les importations en 2021 ont atteint 46,3 milliards de dollars (la Banque mondiale ayant donné 50 milliards de dollars), 38,2 milliards de biens et une sortie de devises de services de 8,1 milliards malgré toutes les restrictions, et des exportations de 37,1 milliards. 
Malgré le dérapage de la monnaie nationale — pour ne pas dire dévaluation – de 5 dinars vers les années 1970/1973, de 80 dollars entre 2000/2004 et actuellement de 139 dinars pour un dollar en ce mois de janvier 2022, cela n’a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures qui engendrent 97 à 98% (avec les dérivés) des entrées en devises. Dans ce cadre, attention aux utopies ! L’annonce de 4 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures pour 2021 doit tenir compte des dérivés d’hydrocarbures qui ont représenté, selon le PDG de Sonatrach, sur 34,5 milliards de dollars de recettes, plus de 2,5 milliards de dollars comptabilisés par le ministère du Commerce dans la rubrique hors hydrocarbures. Si on analyse dans le détail les rubriques en ajoutant les semi-produits à faible valeur ajoutée (exportations conjoncturelles) il reste moins d’un milliard de dollars hors hydrocarbures pour les produits concurrentiels. Le chiffre d’affaires n’est pas significatif ; dresser d’abord pas seulement la valeur mais le volume exporté, certains produits (comme les engrais et autres) ont vu leurs prix augmenter sur le marché international de 30 à 50%, soustraire les matières premières importées en devises et les exonérations fiscales. Cela pourrait expliquer le niveau du taux de croissance très faible par rapport aux dépenses. Ainsi, entre 2000 et 2021, l’Algérie a engrangé plus de 1100 milliards de dollars avec une importation de biens et services en devises dépassant 1050 milliards de dollars pour un taux de croissance dérisoire de 2 à 3% en moyenne annuelle avec un déficit budgétaire pour 2022, qui dépasse selon la loi de finances, 30 milliards de dollars accélérant le processus inflationniste dont l’indice n’a pas été réactualisé depuis 2011, et entre 2020 et 2021 certains produits (comme les pièces détachées en pénurie croissante), l’inflation pour les produits non subventionnés a connu une hausse de 50 à 100%. Du fait que plus de 85% des matières premières sont importées, le taux d’intégration est faible, par les entreprises publiques et privées, sans compter l’assistance technique étrangère, avec la dévaluation du dinar entre 2022 et 2024, l’inflation sera de longue durée. Selon les prévisions de l’Exécutif, le taux de change du dinar sera de 149,3 DA pour un dollar l’an prochain, de 156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024. Ce dérapage du dinar permettra d’atténuer ce déficit budgétaire car si on avait un dollar – 100 dinars, il faudrait pondérer à la hausse d’au moins 37% le déficit budgétaire qui serait, à fin 2022, supérieur à 42 milliards de dollars. L’Algérie, selon le FMI, fonctionnant entre le budget de fonctionnement et d’équipement à plus de 137 dollars en 2021 et à plus de 150 pour 2022. Aussi, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production, les réserves de change sont en baisse continue, passant de 194 milliards de dollars au 1er janvier 2014 à 62 fin 2019, à 48 fin 2020 et à 44 fin 2021. 
La faiblesse du taux de croissance se répercute sur le taux de chômage. En plus du licenciement, uniquement dans le BTPH, de 150 000 emplois en 2021, le faible taux de croissance influe sur le taux de chômage qui, selon le FMI, en 2021 serait de 14,1% et 14,7% en 2022, incluant les sureffectifs des administrations, entreprises publiques et l’emploi dans la sphère informelle. Pour éviter des remous sociaux, tous les gouvernements ont généralisé les subventions, source de gaspillage croissant des ressources financières du pays. 
Pour les prévisions 2022, les subventions implicites, constituées notamment de subventions aux produits énergétiques et de subventions de nature fiscale, représentent environ 80% du total des subventions. Les subventions explicites représentent un cinquième du total des subventions, étant dominées par le soutien aux prix des produits alimentaires et au logement, prévoyant 1 942 milliards de dinars et, au cours de 137 DA pour un dollar, 14,17 milliards de dollars, soit 19,7% du budget de l’Etat. Un dossier très complexe que le gouvernement a décidé de revoir, mais sans maîtrise du système d’information et de quantification de la sphère informelle, un produit de la bureaucratie favorisant les délits d’initié (corruption) dont l’extension décourage tout investisseur, ce qui permet la consolidation de revenus non déclarés. En temps réel, la réforme risque d’avoir des effets pervers.
En résumé, le dépassement de l’entropie actuelle et les tensions géostratégiques à nos frontières posent la problématique de la sécurité nationale. Pour relancer l’économie nationale en 2022 et réaliser la transition énergétique et numérique, il faut une stratégie articulée autour d’une autre organisation institutionnelle, loin de l’esprit rentier de distribution de portefeuilles ministériels qui, souvent, se télescopent, rendant incohérentes les actions alors que les objectifs sont complémentaires : un grand ministère de l’Energie avec trois secrétaires d’Etat techniques : les énergies traditionnelles, les énergies renouvelables et l’environnement étant irrationnel l’existence de trois ministères. Et cela concerne d’autres organisations, notamment devant regrouper l’industrie, les PME/PME, les mines et les startup et un grand ministère de l’Economie regroupant le commerce et les finances et, au niveau local, six à sept grands pôles économiques régionaux autour d’espaces relativement homogènes pour attirer les investisseurs créateurs de valeur ajoutée. L’on devra éviter tant l’illusion des années 1970/1990 de l’ère mécanique, étant à l’ère de l’immatérialité où les firmes éclatent en réseaux comme une toile d’araignée que le cours élevé des hydrocarbures est source de développement. Le retour à la confiance, sans laquelle aucun développement n’est possible, passe par une vision stratégique clairement définie, conciliant efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, supposant une profonde moralité de ceux qui dirigent la cité. 

Source

La finance islamique n’existe pas faute de monnaie islamique

Entretien réalisé par M. Berrached et M. Khellassi

Abderrahmane Hadj Nacer à La Nation : « La finance islamique n’existe pas faute de monnaie islamique »
La Nation 11.02.2021
Ancien gouverneur de la Banque d’Algérie et économiste de haut rang, Abderrahmane Hadj Nacer sait tout de l’argent, de ses circuits, de son pouvoir et de ses tentations. Dans cet entretien qu’il a accordé à La Nation, il analyse la finance islamique et revient sur l’histoire de son développement depuis le début jusqu’à nos jours.
Lui qui a été parmi les fondateurs de la première banque islamique agréée dans le monde dit que la finance islamique n’existe pas car il n’existe pas de monnaie islamique. Les établissements qui s’attribuent cette qualité pratiquent, en réalité, la spéculation et baigne dans la « riba » au même titre que les institutions financières dites classiques.

Lire la suite